Le monde d’après

30 mars 2020, 18e jour de confinement, Paris

Les ailes des oiseaux bruissent, le vent glisse sur le bitume et fait tourner quelques papiers oubliés. La ville est silencieuse des hommes. Les animaux reprennent du terrain perdu il y a si longtemps lorsque notre vacarme les en a chassés. Les premiers pollens volent doucement comme si de rien n’était, ils se disséminent comme ils le font depuis des millions d’années.

Dehors les chiens, libres de se toucher et se sentir, promènent leur maître qui se croisant tendent leur laisse pour se distancier. Presque jaloux de leurs animaux de compagnie. Villes fantômes, chute spectaculaire de la pollution, la planète se porte très bien sans nous.

Troisième semaine de confinement, 1,2 million d’habitants ont quitté l’Île-de-France (17 % de la population) dont un peu moins de 400 000 habitants de Paris. 180 pays sont frappés, la moitié de l’humanité confinée. Assignés à résidence, nous sommes immobiles.

Face à l’inconnu dans le plus connu, notre foyer. Entre quatre murs. Aucune échappatoire possible. La vie personnelle devient la seule vie. Plus de sphères séparées. Nos rôles se confondent. Notre vie telle qu’elle est, dans notre espace intime. Il n’y a que l’intérieur, l’extérieur n’existe plus.

Nous ne consommons plus rien d’autre que l’indispensable. La vente des vêtements a chuté de 90% ! Le trafic d’internet a augmenté de 70%. Face au coronavirus, la télémédecine explose (601 000 téléconsultations en trois semaines, contre 40 000 en février).  Des millions de salariés découvrent le télétravail, et des millions de jeunes la télé-éducation.

Le temps s’est arrêté. Les actualités ne traitent que d’une information obsessionnelle, plus de politique, de sport, de culture, rien d’autre que la pandémie et les décomptes macabres. Elle occupe l’espace et la tête. Le mal est invisible. Tout est à sa place et pourtant tout est différent. L’esprit lui ne peut être enfermé. Il s’échappe.

La mort que nous évitons rôde sur nos écrans, unique interface avec le monde qui nous entoure. L’ego se débat, il ne peut rien faire. Chacun est renvoyé à son insignifiance. Le sapiens se considère comme l’espèce dominante et le voici contraint collectivement pour la première fois. C’est une forme d’avertissement, nous voici dominés. Cette pandémie planétaire n’est que la première, nous redoutons d’autres fléaux et événements climatiques, d’anciens virus libérés lors de la fonte du permafrost.

Les autres sont ailleurs, mais nous avons conscience d’en avoir besoin. L’homme est un animal social. Nos interactions sociales ont joué un rôle dans l’évolution de notre espèce et le développement de notre cerveau. Nous avons besoin des autres, nous avons besoin les uns des autres des humains et de la biodiversité dans son ensemble (De quoi sommes-nous faits ? Savez-vous, par exemple, que notre ADN est constitué d’environ 10% de virus qui ont infecté nos ancêtres il y a des centaines de milliers d’années ? (cf. vidéo ci-dessous). Pour traverser cette crise, il faut se relier, être utile aux autres.

Les fantassins de cette guerre sont tous ceux qui ont des professions indispensables, et que d’habitude nous regardons à peine, qui n’ont pas le droit au confinement. Dans une société dite civilisée, nous ne sommes même pas capables de les équiper pour les protéger. Les personnes âgées et ceux qui les entourent sont laissés à leur triste sort.

Cette crise est une opportunité historique pour transformer la société.

L’humanité navigue à vue et lutte contre la peur au milieu de cette crise sanitaire que nous n’arrivions même pas à concevoir il y a trois semaines. Ce voyage au long court semble sans fin, il ne faut penser à la durée, juste au jour le jour, à l’instant présent, sachant que l’on retrouvera la vie extérieure. Quand nous sortirons,  les habitudes auront changé. Nous devrons continuer les gestes barrières pendant des mois, passer des tests, porter des masques. Nous ne pourrons pas nous déplacer comme avant. Nous ne retrouverons pas l’insouciance, tant mieux sans doute.

A la sortie, le monde reprendra, il sera tellement secoué dans ses fondations. Les conséquences sociales, économiques, psychologiques seront gigantesques. Cette crise est une opportunité historique pour notre société. Les populistes se précipiteront pour profiter de nos peurs, demander de maintenir la fermeture des frontières, contrôler les citoyens comme jamais avec des systèmes de surveillance ultra sophistiqués et biométriques. Mais une prise de conscience peut nous permettre d’agir, renforcer la démocratie et la confiance, développer une solidarité à l’échelle planétaire, appliquer des solutions innovantes (par exemple le revenu universel, relocaliser des industries stratégiques, transformer les métiers), accélérer la mutation écologique. Il faudra surtout que l’on ne reconstruise pas l’Ancien Monde, mais que nous le transformions. Pensons le monde d’après.

 

« Une espèce à part » est une magnifique mini série. L’épisode 9 « jusqu’au fond de son être » est de circonstance. La deuxième vidéo « l’homme n’est pas unique » propose la série entière (30 mn). A lire aussi, le très beau texte de La femme aux semelles de vent : « Acquiescer« .

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